LETTRE OUVERTE AU CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE

LETTRE OUVERTE AU CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE

Amsterdam, le 9 juillet 2024

Objet: Demande urgente pour aider à préserver un élément du patrimoine culturel mondial, la frégate «Shtandart»

Monsieur le Président du Conseil de l'Union européenne, Monsieur Charles Michel,
Mesdames et Messieurs du Conseil de l'Union européenne,

Je vous écris concernant le récent paquet d'amendements (règlement du Conseil (UE) 2024/1745 du 24 juin 2024) aux mesures restrictives contre l'agression russe en Ukraine (règlement du Conseil (UE) 833/2014 du 31 juillet 2014).

Je reconnais l'importance de ces mesures et les soutiens vigoureusement comme un moyen de faire pression sur le régime de Poutine et d'aider à arrêter l'invasion militaire en Ukraine. Parmi d'autres amendements de ce document, j'ai toutefois été profondément attristée de trouver celui spécifiant que les restrictions s'appliqueraient à tous les navires maritimes «y compris les répliques de navires historiques».

Les répliques de navires historiques ayant navigué dans les eaux européennes sous pavillon russe sont loin d'être nombreuses. Même si des grands voiliers comme le «Kruzenshtern», le «Sedov» et le «Mir» fréquentaient les ports européens par le passé, ils n'ont pas été vus dans l'UE ces dernières années, même avant le 24 février 2022 lorsque l'interdiction d'entrer dans les ports européens a commencé. En conséquence, cet amendement s'avère pratiquement dirigé contre un navire spécifique - la frégate «Shtandart».

Je connais ce navire et son équipage, et je souhaite saisir cette occasion pour attirer votre attention sur plusieurs faits que vous ne connaissez peut-être pas, dans l'espoir de prévenir ce que je crois être un malentendu tragique.

Contrairement aux autres grands voiliers susmentionnés battant pavillon russe, tous affiliés de près ou de loin à des institutions gouvernementales russes, le «Shtandart» est construit et possédé en privé. Il a été construit par une organisation à but non lucratif dédiée au développement de la jeunesse. Depuis le début, l'objectif de ce projet a été l'éducation et la culture. Le navire a été construit et géré par Vladimir Martus, qui s'est à plusieurs reprises défini comme un opposant au régime de Poutine. Vladimir Martus a montré son respect et sa volonté de collaborer avec les gouvernements européens à de multiples occasions, en faisant de son mieux dans la situation actuelle - en ne battant pas pavillon russe à la demande des autorités locales, et finalement en changeant l'enregistrement et le pavillon du navire vers un autre pays et en transférant la gestion à une entreprise européenne.

L'équipage actuel de la frégate «Shtandart» est un véritable mélange de nationalités : non seulement des Russes, mais aussi des Ukrainiens, des Français, des Belges, des Néerlandais et bien d'autres contribuent largement à ce projet au quotidien. Je connais personnellement au moins un réfugié ukrainien qui a trouvé refuge et domicile à bord de ce navire. L'équipage démontre comment des personnes de différentes nationalités et origines, parfois ne parlant même pas la même langue, peuvent coexister pacifiquement et travailler sur un projet commun, malgré et à travers les terribles événements qui se déroulent autour d'eux.

D'une certaine manière, la fregate «Shtandart» est elle-même une réfugiée. Il y a 15 ans, ce navire a dû fuir Saint-Pétersbourg à cause d'un incident avec le gouvernement local qui a tenté de prendre le navire par la force. Elle n'est jamais retournée en Russie depuis. Ce n'est que grâce à une énorme communauté de bénévoles que la «Shtandart» a survécu à la crise du COVID-19, et dernièrement, elle doit compter sur la bonne volonté des autorités locales pour être autorisée à entrer dans n'importe quel port, simplement pour s'abriter, se ravitailler et nourrir son équipage.

C'est ce navire que vous interdisez spécifiquement d'entrer dans les ports européens. Quelles seraient les conséquences ? Privée d'accès aux ports européens, le «Shtandart» n'aura probablement guère d'autre choix que de retourner en Russie. Sera-t-il pris de force par quelques sbires de Poutine et transformé en yacht privé? Malheureusement, je vois cela comme une issue probable. Et j'espère sincèrement que ce n'est absolument pas ce que vous cherchez à accomplir, car ce genre de «sanctions» ne ferait qu'encourager le gouvernement russe à continuer ses actions illégales.

Je suis moi-même citoyenne néerlandaise d'origine ukrainienne, et je souhaite de tout cœur que les événements tragiques se déroulant dans mon pays natal prennent fin et que tous les coupables de crimes contre le peuple ukrainien soient punis. Pourtant, dans la douleur et la colère, nous ne devons pas oublier que nous combattons des régimes, pas des cultures. Les actions illégales du gouvernement russe suscitent une juste indignation. Je regrette que certains de mes compatriotes ukrainiens ne trouvent pas de meilleure cible pour diriger leur ressentiment qu'un musée historique. Cela pourrait s'expliquer par le traumatisme et la douleur immense que beaucoup d'Ukrainiens, moi y compris, traversent. Mais vous, le gouvernement de l'Union européenne, devez garder une vue claire et être capables de distinguer les véritables criminels de leurs victimes.

La frégate «Shtandart» n'est pas qu'une réplique d'un navire de 1703. Elle a été construite en suivant la tradition nautique néerlandaise et britannique. C'est un remarquable patrimoine culturel, résultat de nombreuses années de dur labeur accompli par des centaines de bénévoles. Conçue principalement comme un projet bénévole, et non commercial, elle lutte déjà pour survivre. Ce serait une énorme perte pour l'Europe et le monde si elle échouait dans cette lutte.

Outre sa valeur culturelle indiscutable, la frégate «Shtandart» est un rappel éclatant que le peuple russe a une alternative aux fausses valeurs de Poutine. Ce navire démontre que l'amitié et la collaboration avec les nations européennes, y compris les Ukrainiens, sont une voie réelle et plausible pour les Russes. Elle rappelle et montre ce que le régime de Poutine essaie de retirer au peuple russe - le choix.

Le but des sanctions est de mettre une pression politique et économique sur le gouvernement russe et sur les individus responsables des nombreux crimes militaires en Ukraine, ainsi que des crimes contre les droits humains en Russie. La liste des sanctions inclut des mesures restrictives ciblées contre des individus russes puissants et des mesures économiques efficaces telles que des restrictions sur le commerce du pétrole. Et à côté de ces mesures réfléchies et de ces personnalités notoires - des restrictions contre une réplique, un musée..? Que pouvons-nous réellement atteindre de bon par cela?

Je vous demande par la présente de reconsidérer cet amendement, et d'aider à préserver cet élément précieux du patrimoine culturel mondial. Je vous demande de faire preuve de sagesse et de clairvoyance pour distinguer les amis de l'Europe de ses ennemis. Si vous ne pouvez pas soutenir le «Shtandart» autant qu'il mérite de l'être, au moins, je vous en prie, ne le poussez pas à cesser d'exister. Veuillez faire la seule chose qui ait un sens : faites du «Shtandart» une exception aux sanctions et accordez-lui un accès libre aux ports européens.

Je suis heureuse de vous apporter mon assistance et de collaborer davantage avec vous sur cette question.

Cordialement,le 9 juillet 2024
Anna Mykolaivna IlinaAmsterdam, Pays-Bas

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