Notes maritimes de l’officier de quart – Traversée de Bizerte à Antalya

Notes maritimes de l’officier de quart – Traversée de Bizerte à Antalya

Sea Notes of the Watch Officer – Passage from Bizerte to Antalya

Nous longeons les côtes de la Sicile et de la Grèce, en traversant la mer Ionienne. Le vent est stable et fort, notre vitesse varie entre 6 et 9 nœuds, les vagues atteignent 2 à 3 mètres, le navire gîte et il y a de l’eau partout. Les vagues soulèvent brusquement le navire, puis s’écrasent avec un mouvement de torsion avant de s’éloigner au loin — elles forment un décor pittoresque pour notre traversée, particulièrement magnifique sous la pleine lune éclatante. C’est une mer ancienne, il y a des millénaires, elle était déjà parcourue par les navires phéniciens, grecs et romains. C’est ici qu’une partie du voyage d’Ulysse s’est déroulée. Je ne peux m’empêcher d’imaginer que nous ne sommes pas sur une frégate du XVIIIe siècle (un navire de mer assez perfectionné), mais sur une trirème antique avec une seule voile carrée. Qu’est-ce que ces vagues ont dû les secouer...

Une bonne navigation est le contraire dialectique absolu du confort. Si les voiles tiennent bien, alors il y a de la gîte. Cela ne me dérange pas particulièrement que tout vole à travers la pièce ou que je sois projeté hors de ma couchette. Avec la gîte vient l’eau. On ne dit pas « ça fuit » ou « ça prend l’eau » — ces formules impersonnelles minimisent l’expérience. On dit : « l’eau vient », en reconnaissant le droit inaliénable de l’eau de venir quand bon lui semble. Elle vient, tout simplement.

Si tout est sec et stable, cela signifie qu’il n’y a pas de vent, pas de voiles — seulement un moteur monotone. Et alors on se demande : pourquoi sommes-nous ici, au juste ?

Naviguer avec une gîte de 15 degrés à 9 nœuds est une sensation très, très agréable.
C’est un plaisir pur.
Enfin, en quelque sorte. C’est un plaisir pur si tu es un jeune volontaire à la barre, chargé d’une mission simple : maintenir la vitesse. Mais si tu es celui qui sait que, de ce côté, il y a une zone sans vent, et de l’autre une gîte qui risque de faire s’effondrer les voiles — et que tu dois éviter l’un comme l’autre, tout en veillant à ce que les jeunes barreurs fassent de même — alors ce plaisir devient… un peu moins infini.
Comme le disait l’Ecclésiaste : « Beaucoup de savoir, beaucoup de chagrin. »

Alexander Orlov,
l’officier de quart

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